jeudi 20 janvier 2011

Le Japon à DJibouti (2/2)

Suite de mes deux précédents billet ICI et ICI

Une approche globale pour l’Afrique : vers l’instauration d’une Pax Nipponica (11) ?
Le Japon a toujours semblé en retrait face aux évolutions majeures du continent (voire du monde), aujourd’hui il aspire à redevenir une nation politique. Mais son problème principal est de « transformer sa richesse en puissance (12) ». Ses priorités sont donc le développement de son aide internationale, de son modèle en matière de développement durable et le renforcement de sa présence dans les organisations internationales.
Pour ce dernier point le Japon a besoin du soutien des pays africains car il ambitionne d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité dans le cadre du « G4 » (Japon, Allemagne, Brésil, Inde) et les pays subsahariens représentent un quart des votes à l'Assemblée générale de l'ONU. Pour le premier point, c’est une évidence depuis deux décennies, la politique africaine du Japon s’articule principalement autour de son aide au développement ce qu’on a pu appeler « la diplomatie du portefeuille (ou du chéquier)» : « le Japon s’est engagé en Afrique subsaharienne par le biais de son Aide Public au Développement (13) ». Ainsi dans le cas de notre exemple Djiboutien, la coopération avec ce pays ne s’arrête pas à la lutte contre la piraterie. Le Japon ouvre aussi une ambassade sur place et multiplie les projets de développement : construction d’une centrale électrique solaire et l’installation d’un millier de panneaux solaires d’ici 2012 (14) , don de 35 millions de dollars en 2009, l’aide bilatérale est passée de 2 millions de dollars en 2007 à 22 millions en 2008 et 24 millions en 2009, construction et équipement d’un centre de formation pour les enseignants, accord de coopération dans la lutte contre la sécheresse (plus de 5.5 millions de dollars), des centres de dialyse, des studios de production pour la Radio Télévision de Djibouti (près de 10 millions de dollars), des écoles, des équipements agricoles (15) …

A partir des années 1990, en devenant l’un des principaux bailleurs de fonds bilatéraux sur le continent, le Japon s’est impliqué politiquement. Avec la loi PKO (Peacekeeping Operation) votée en 1992 et qui règle les conditions de la coopération au maintien de la paix, le Japon accrût sa participation aux efforts de paix : contribution financière à l’ONUSOM en 1992, surveillance des élections la même année en Angola (UNAVEM2), envoi d’unités de transport de troupes au Mozambique (ONUMOZ) en 1994, secours aux réfugiés Rwandais au Zaïre (MINUAR). Puis il a été le premier des pays non colonisateur à lancer en 1993 la série de conférence de la TICAD (Tokyo International Conference on African Development) afin d’expliquer les projets de développements qu’il avait pour l’Afrique. L’idée de coopération Sud-Sud s’est développée à partir de cette première conférence bien que pour certains la TICAD ait juste avalisé les stratégies de développement existantes (16) . Néanmoins au début du XXIème siècle, l’aide japonaise a subi de fortes contraintes budgétaires conjuguées à une réforme du Ministère des Affaires Etrangères et de l’APD qui a permit au Japon d’adopter une démarche globale alors qu’auparavant il séparait ses activités d’aide de celles liées au règlement des conflits. Au G8 de Miyazaki (juillet 2000) les ministres des Affaires étrangères ont donc adopté cette approche globale, de la phase précédant le conflit à l’après conflit et le Japon de rendre public son propre programme : « Action du Japon » qui indiquait les modalités de sa politique de développement en vue d’éliminer les causes potentielles des conflits. De plus il est a noté que depuis 2006 la part de l’aide accordée à l’Afrique (34,2% du total) a dépassé celle de l’Asie qui concentrait jusqu’alors la majorité de l’aide (et même 98.2% dans les années 1970)(17) . Lors de la quatrième réunion de la TICAD IV en mai 2008 Tokyo a même annoncé un doublement de son aide à l’Afrique.
Le ministère des Affaires étrangères exprimait son engagement pour la prévention des conflits ainsi : « Les questions de développement et de stabilité politique sont étroitement liées (…) le Japon doit (…) s’acquitter d’un certain rôle et mener des efforts indépendants sur le plan du développement africain et des questions de conflit, lesquels sont inhérents à sa position sur la scène internationale. (18) » Aujourd’hui le Japon soutien les appropriations africaines au travers des organismes régionaux et malgré quelques désillusions notamment sur l’utilisation de l’argent par l’Union Africaine pour l’opération de maintien de la paix au Darfour (MINUAD). Dorénavant la priorité va au financement de la formation dans les centres d’excellences régionaux. Tokyo apporte son soutien financier aux 9 centres d’excellences. Contrairement aux anciennes puissances coloniales qui concentrent financement et partenariat sur leurs zones d’influences, le Japon, qui n’a pas de racines historiques en Afrique, investit dans les 5 régions. Seule la NASBRIG (Brigade pour l’Afrique du Nord) bénéficie d’une attention particulière par le soutien au Cairo Centre for Conflict Resolution and Peacekeeping Training in Africa en Egypte. Cette région est en quelques sortes devenues leur zone de préférence (19) .

Conclusion
Le Japon s’est engagé dans une série de changements majeurs depuis le début des années 1990 et la création de cette base à Djibouti est une étape supplémentaire dans son autonomisation sur la scène internationale, à une période où l’archipel se trouve isolé tant dans sa région que dans le monde. L’Afrique est un axe de sa politique étrangère, Tokyo entend jouer un rôle majeur dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix. Son implication croissante en Afrique de l’Est, zone au combien instable du continent, est une porte d’entrée pour une diplomatie plus politique sur le reste du continent.

11 Inoguchi Takashi, « Japan’s Foreign Policy in an area of Global Change », Londres, 1993, Pinter Publishers, p175.
12 Jean Esmein (sous la direction de.), « Les bases de la puissance du Japon », Paris, Collège de France, Fondation pour les études de défense nationale, 1988, 348 p.
13 K. Enoki, « La politique africaine du Japon », discours prononcé à l’université de Hokkaigakuin, le 30 juin 2000, cité par Shozo Kamo, « De l’engagement économique à l’engagement politique. Les nouvelles orientations de la politique africaine du Japon », in Afrique contemporaine, Hivers 2004, p.55-66.
14 « Contrepartie japonaise à Djibouti », in Lettre de l’Océan Indien, n°1275, 12 décembre 2009.
15 Yasser Hassan Boullo, « Intensification de la coopération entre Djibouti et le Japon », Agence Djiboutienne d’Informations, 21 juin 2010.
16 Minoru Obayashi (sous la direction de.), « Afurka no Chosen » [« les défis de l’Afrique »], Showa-do, 2003, cité par Makoto Sato et Chris Alden, « La diplomatie japonaise de l’aide et l’Afrique » in Afrique contemporaine, Hivers 2004, p.13-31.
17 Aicardi de Saint-Paul Marc, « Japon-Afrique : genèse d’une relation pérenne », in Géostratégiques, n°26, 1er trimestre 2010, p.195.
18 MOFA, « Contribution du Japon à la prévention et à la résolution des conflits en Afrique », Tokyo, 2000.
19 Entretien avec l’auteure à Djibouti le 5 juin 2010.

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