samedi 31 mars 2012

Mali : Faiblesse de l’Etat et périphérie marginalisée

Au regard des évènements actuels au Mali, nous vous proposons ici les grandes lignes d'une communication présentée en juin 2011 dans le cadre d'un colloque sur les organisations combattantes (ICI).



L'Afrique de l'Ouest et plus particulièrement la région sahélienne est soumise à de nombreux soubresauts politiques avec l’incursion régulière de l’armée dans le champ politique : coups d’Etat en Mauritanie (août 2008) et au Niger (février 2010), mutinerie au Burkina Faso (avril 2011), récent coup d'Etat au Mali.

L’activité d’AQMI profite de cette faiblesse des Etats régionaux souvent défaillants à leurs périphéries.
D’abord pour des raisons géographiques : la configuration du peuplement marginalise aux périphéries les populations opposées au pouvoir central. Comme nous l'expliquions dans le précédent billet (ICI) une trêve avec les rébellions touarègues, par exemple, aux confins du Mali, rend le gouvernement réticent à engager son armée contre AQMI dans une région où elle a retiré ses forces en 2006.


Par ailleurs, ces Etats n’ont pas les moyens d’assurer le maillage territorial de leur pays. De fait leur incapacité à contrôler leur territoire a permis l’implantation des cellules d’AQMI et aujourd’hui ils n’ont pas non plus les moyens de s’engager dans une lutte contre AQMI. En 2010, le budget du Mali était le plus important du Sahel mais bien loin de celui consacré par le gouvernement algérien

 Tableau 1 : Forces des pays du Sahel



Budgets Défense                             (millions de $) en 2009
Forces
Algérie
 5280 (5670 en 2010)
147 000  (Terre : 127000; Air : 14000; Mer : 6000)  Paramilitaires : 187200
Mali
170 (208 en 2010)
7800 (Terre : 7350; Air : 400; Mer : 50) Paramilitaires : 4800
Mauritanie
115
15870 (Terre : 15000, Air : 250; Mer : 620) Paramilitaires : 5000
Niger
64
5300 (Terre : 5200, Air : 100) Paramilitaires : 5400


On observe une dynamique inverse à celle qui a motivé les Etats européens entre le XVIème et XIXème siècle. Ces derniers surinvestissaient dans leurs marges afin de les intégrer. Dans les pays du Sahel cet investissement semble peu rentable aux gouvernements qui soupçonnent par ailleurs les populations nomades vivant sur les territoires de plusieurs Etats d’être plus loyales aux autorités traditionnelles qu’aux autorités étatiques. Pourtant, jusqu’à présent, il semble qu’AQMI n’est pas de lien notable avec les insurrections locales d’ailleurs certaines se sont retournées contre l’organisation en 2004 au Tchad et en 2006 au Mali. Lors du colloque nous évoquions une hypothèse qui malheureusement se vérifie aujourd'hui : un échec du règlement de la question touarègue aura un impact négatif sur la lutte contre AQMI, les deux processus sont intrinsèquement liés...
La recherche d’une solution passe inévitablement par une réponse aux problèmes régionaux structuraux. On ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le développement économique et social de la région dont le retard est à la base de l’instrumentalisation de certaines populations par AQMI. Si aujourd’hui cette menace est plus sécuritaire que politique, la région est un terreau favorable à un soutien local opportuniste. D’autant, que l’impact très négatif de cette violence terroriste, sur le tourisme ou les investissements, devrait accentuer cette problématique. Toute solution passe également par un renforcement de la légitimité de l’Etat sur ses marges et donc de sa présence notamment par la fourniture de services publics.
Par ailleurs gardons à l’esprit que cet espace a toujours posé des problèmes de gouvernance tant pour l’Etat colonial que pour ses successeurs. La ceinture sahélienne est une zone mouvante d’échanges et de circulation, peuplées de sociétés nomades qui ont toujours entretenus des relations de coopération sur des périodes plus ou moins longues et d’affrontement avec les gouvernements centraux. Toute intervention étrangère (motivée tant par la lutte contre AQMI que la préservation d'une influence dans une région au sol particulièrement riche) doit garder ces données en tête et ne pas commettre les mêmes erreurs qu’en Somalie où les ingérences extérieures ont donné une légitimité aux insurgés. Toute ingérence faire courir le risque que des alliances conjoncturelles se renforcent derrière une cause commune anti-impérialiste. Le djihad devenant la version islamique des luttes anticoloniales comme le rappelle Jean-François Bayart ICI

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