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mercredi 23 janvier 2013

Islam africain, un particularisme effectif ?



Alors que de nouveaux spécialistes du Sahel, de l'Afrique de l'Ouest ou encore de la Somalie, apparaissent un peu partout dans les médias ces derniers jours, les discours colportés font souvent état d'un "islam noir". Nous vous proposons ici d'analyser cette question. 



Tout d'abord, gardons-nous de toute analyse qui donnerait une représentation fallacieuse de l’islam dans la région. Bien qu’il soit teinté de tradition animiste et soufie, rappelons comme René Otayek et Benjamin Soares (ouvrage à droite) que cet islam dit « africain » n’a pourtant pas autant de pratiques particulières qu’on le laisse souvent entendre. Le culte des saints, par exemple, est aussi répandu dans le reste du monde musulman. Néanmoins, il est vrai que dans des pays comme le Mali, la pratique religieuse inclus souvent des éléments extérieurs à l’islam (personnages mythiques non musulmans, recours au fétichisme…). Nous émettons donc des réserves face à ce qu’il est habituellement appeler un « islam africain » profondément soufi et perçu comme « notoirement syncrétique, tolérant et assimilationniste »  sur lequel les colonisateurs français et britanniques appuyaient leur pouvoir et que certains invoquent aujourd’hui afin d’endiguer la montée de l’islamisme dans la région. Cette vision manichéenne donne une image erronée d’une situation qui cache une réalité beaucoup plus complexe. Bien sûr, on observe de fortes divergences entre les sunnites, wahhabites et les traditionnalistes mais ces oppositions sont plus souvent des commodités de langage. L’islam dans la région est pluriel. Les solidarités familiales, ethniques… sont souvent plus actives que l’identification religieuse et sont entretenues par les structures sociales, économiques et politiques de la société. 

L’islam, comme le christianisme, ont réinvesti l’espace public profitant du vide politique laissé après des années d’autoritarisme et cette demande de sacré est aussi une demande de sens. Au Mali, Chérif Ousmane Haïdara, chef traditionnel d’un ordre soufi , a rempli les stades mais peu d'autres membres de l’élite musulmane ne bénéficient d’un public aussi important et n’ont réussi à se substituer aux chefs soufis, aux marabouts….


 Ainsi même si les discours des nouveaux intellectuels musulmans ont parfois des résonnances islamistes, cette visibilité est trompeuse par rapport à leur influence réelle dans la population. Au Mali, ils peuvent invoquer la Charia mais ils n’ont pas nécessairement de légitimité populaire et ne sont pas représentatifs. Par ailleurs, il ne faut pas confondre islamisme et jihadisme. De même tous les islamistes ne sont pas des radicaux. 

On lira avec intérêt : 

René Otayek  et Benjamin Soares, « Islam et politique en Afrique » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Benjamin Soares, « L’islam au Mali à l’ère néolibérale » in Islam, Etat et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009

Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in Le radicalisme islamique au sud du Sahara. Da’wa, arabisation et critique de l’Occident, René Otayek (sous la dir.), Paris, Karthala, 1993

mercredi 4 juillet 2012

Les défis politiques et stratégiques en Somalie




L'IRSEM vient de sortir son 13ème cahier consacré aux actes du colloque organisé en mai 2011 sur la Somalie. 


Vous pouvez télécharger gratuitement les actes ICI

Résumé de l'éditeur : 
Organisé à Paris les 5 et 6 avril 2011 par l’IRSEM en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA), le séminaire sur les défis politiques et stratégiques du conflit en Somalie a porté plus spécifiquement sur la manière dont les acteurs locaux, nationaux et internationaux appréhendent les défis politiques et stratégiques du conflit somalien. Ce Cahier de l’IRSEM a pour ambition de poursuivre cette collaboration et d’enrichir la réflexion sur les défis que pose la Somalie.
 Trois thématiques ressortent des différents échanges :les perceptions du syndrome somalien depuis 2001, la Somalie comme laboratoire de la conflictualité régionale, et les enseignements sur la construction de l’Etat. 

Sommaire

Clans,  état  et  société  en  Somalie :  montée  et  chute  des  mouvements  islamistes
Quel état construire en Somalie ?
Les  enseignements  à  tirer  du  Somaliland  et  du  Puntland  en  matière  d’édification de la paix et de formation d’État 
La force en attente de l’Afrique de l’est : un emploi en somalie ?
La piraterie comme innovation : une esquisse géographique de la piraterie somalie
L’enracinement  de la   crise     somalienne,     entre     contagion     et  instrumentalisation regionale
« Avancer des réponses stratégiques contre Al-Shabaab »
Le temps de la diaspora somalienne : chronique de la construction du tissu  associatif somali aux Pays-Bas
Haanta  Salka  Ayeey  Ka  Unkantaa  -  Un  pot  à  lait  se  construit  en  commençant par le fond

Avec les contributions de
 Dr  Alexandra  Magnolia  Dias,  Chercheur  au  centre  d’étude  africain  ISCTE
 Dr  Markus  V.  Hoehne,  Institut  Max  Planck  d’anthropologie  sociale,  Halle/Saale
 Cyril   Robinet,   Chargé   de   mission   à   la   Délégation   aux   affaires  stratégiques, Ministère de la défense français
Colonel  Yves  Metayer,  Adjoint  au  chef  du  bureau  Afrique  à  l’Etat- major des armées, Ministère de la défense français
François Guiziou, Doctorant à l’Université de Nantes
Sonia  Le  Gouriellec,  Doctorante  en  Science  Politique  à  l'Université Paris Descartes
 Géraldine  Pinauldt,  Doctorante  à  l’Institut  Français  de  Géopolitique,  Université de Paris 8
 Dr   Benjamin   P.   Nickels,   Professeur   Assistant,   Centre   d'études  stratégiques de l'Afrique
Marc  Fontrier,  Secrétaire  général  de  l’ARESAE  (Association  pour  la  recherche et les études scientifiques en Afrique de l’Est)

vendredi 18 novembre 2011

Un regard sur les élections tunisiennes

Deux Tunisiennes ont accepté de répondre à nos questions et nous font part de leurs sentiments sur les élections qui se sont déroulée en Tunisie, le 23 octobre dernier pour élire une Assemblée constituante..



Le peuple tunisien vient de voter pour son Assemblée constituante, quelles sont vos premières réactions aux résultats des suffrages ?

C’est une étape historique. Il s’agit des premières élections libres et démocratiques pour la Tunisie. Malheureusement, le rêve s’est transformé en cauchemar avec l’annonce des résultats et la victoire du parti islamiste Ennahdha. En effet, la « révolution du jasmin » prônait la liberté, la dignité et le droit. Nous craignons que cet élan démocratique n’ait été confisqué par un parti islamiste.

Les exemples de l’Algérie et de l’Iran sont des illustrations exhaustives de la dérive de ces partis islamistes, arrivés au pouvoir de manière démocratique. C’est donc avec amertume que la majorité des tunisiens ont découvert les résultats des élections. Au lendemain de cette journée historique, la Tunisie se réveille avec « la gueule de bois ».

Que pensez-vous du traitement médiatique de ces élections en France ?

Les médias français ont mal couvert les élections et leurs enjeux. Ils ont exposé la période électorale tunisienne en se focalisant principalement sur le fameux parti Ennahdha, parti qu’ils présentent comme étant modéré.

Il est toutefois important de signaler que la Tunisie, n’est pas la Turquie, et qu’elle n’est pas laïque. Les journalistes français ont présenté ce parti et son dirigeant Rached Ghannouchi, comme une alternative démocratique à la dictature, en oubliant de souligner les aspirations extrémistes propres à ce parti, qui pourraient nous mener à une nouvelle dictature.



Les médias ont fait abstraction des réelles motivations de ce parti, en se contentant d’affirmer qu’il était islamiste mais modéré. Il s’agit d’un oxymore, on ne peut être islamiste et modéré. En se focalisant principalement sur Ennahdha, les médias français l’ont hissé au rang de favori. Nous trouvons cela injuste de fournir une couverture médiatique à ce parti et de ce fait, négliger les autres partis. On se demandait à Tunis, si France24, Bfm tv et itélé n’étaient pas en charge de promouvoir la campagne électorale de ce parti, tellement la focalisation était flagrante.

On considère que les médias français ont contribué au succès d’Ennahdha et ont failli à leur obligation d’impartialité. Nous les classons aujourd’hui dans le même panier qu’Aljazeera, qui se veut pro- islamiste.

Avez-vous des informations sur les tendances du vote des tunisiens de France ? Qu'en pensent les tunisiens de Tunisie ?

Les tunisiens de France ont crée la surprise en plaçant le parti Ennahdha premier des votes.

C’est d’autant plus étonnant que ces immigrés tunisiens vivent dans une démocratie et jouissent de tous leurs droits. Pourquoi ont-ils voté pour un parti islamiste ? C’est une stupéfaction à Tunis. Les tunisiens sont révoltés par le vote des immigrés, qui sanctionne ceux qui vivent principalement en Tunisie. On pense qu’il s’agit d’un vote sanction de citoyens binationaux en désaccord avec leur société.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs groupes ont manifesté leur colère et incompréhension face à ce vote des tunisiens de France. Aussi, ils crient au scandale et jugent ce vote inutile et handicapant pour la Tunisie moderne post Ben Ali. Ainsi un groupe a été crée sur Facebook, invitant les français à voter Marine Lepen pour sanctionner à leur tour les immigrés tunisiens qui ont voté Ennahdha.

Ce désaccord entre tunisiens en France et tunisiens en Tunisie prend des allures de règlement de compte.

Qui est le leader d’Ennahdha ?


Le leader d’Ennahdha est Rached Ghannouchi. Il était exilé à Londres durant une vingtaine d’années. Il est revenu en Tunisie à la suite d’une amnistie en janvier 2011.

Les dirigeants de ce parti sont vieillissants et déconnectés de la réalité tunisienne, mais la base de ce parti est représentée par des radicaux. Alors qu’ils étaient interdits auparavant, les courants extrémistes et salafistes ont pris le contrôle des mosquées. Ceci est d’autant plus inquiétant qu’anti-démocratique. Utiliser les lieux de culte à des fins politiques est dangereux.

Le leader du parti Ennahdha a évoqué, durant une interview sur les révolutions arabes, que l’objectif ultime des musulmans est l’instauration du califat. Naturellement, Rached Ghannouchi est bien conscient qu’il est impossible d’atteindre cet objectif dans le court terme mais il l’envisage sur du long terme.

Dans son livre, « La femme entre coran et réalité des musulmans », Rached Ghannouchi affirme que « la fonction de la femme est essentiellement sexuelle ». Dans le même livre, il affirme que « tant qu’il y a des hommes au chômage, les femmes ne devraient pas travailler ».

Aussi, à l’annonce de la mort de Ben Laden, Ghannouchi a évoqué, sur Al Jazeera, « l’engagement progressiste et humaniste » de ce dernier, même s’il a dénoncé ses « excès » !!! Ceci nous donne un aperçu de la personnalité de Ghannouchi et de ses ambitions pour la Tunisie à venir.

Après les élections, les dirigeants du parti ont pourtant tenté de rassurer les laïcs notamment sur le statut des femmes, vous n'y croyez pas ? Pourquoi ?

Les dirigeants du parti Ennahdha se sont empressés d’affirmer qu’ils n’instauront pas la Charia et qu’ils ne toucheront pas aux acquis de la femme. Néanmoins, ils ont toujours été vagues et imprécis sur leurs affirmations. Ils sont des adeptes du double langage.

Les femmes tunisiennes ont acquis des droits avancés par rapport aux autres pays arabes. Le code du statut personnel, équivalent du code civil français, place la femme tunisienne au même rang que l’homme. Cette particularité déplait fortement aux islamistes, qui dans leurs derniers discours affirmaient que « la femme tunisienne s’était pervertie en agissant comme une occidentale ».

Ils ont aussi déclaré que la « débauche de la femme tunisienne était une honte pour la religion musulmane ». Ainsi, avec ce genre d’affirmations, nous nous attendons au pire.

De ce fait, nous ne croyons pas du tout au discours hypocrite d’Ennahdha sur la préservation des droits de la femme tunisienne. Ils restent flous quant à l’instauration de la charia, considérant que c’est un objectif ultime. Ils sont constamment en contradiction. Les derniers événements à Tunis sont inquiétants, mais ils ne sont mêmes pas relayés par les médias français ! Plusieurs femmes universitaires ont été agressées et persécutées au sein même des universités tunisiennes. Le silence de la communauté internationale est scandaleux. Ennahdha renoue donc avec ses vieilles habitudes des années 80, durant lesquelles plusieurs femmes non voilées ont été aspergées d’acide chlorhydrique, par des activistes du parti.

En France, on a une image d'une Tunisie laïque avec une importante classe moyenne et on découvre aujourd'hui un autre visage de la Tunisie, vous aussi ? Comment expliquer la montée de l'islamisme ?

Oui, la Tunisie à travers ces élections apparait sous un nouveau visage. Mais, il faut relativiser cette montée de l’islamisme, qui n’englobe pas toutes les catégories sociales.

Il ne s’agit pas de faire le procès de l’Islam. La Tunisie est musulmane et nous tenons à nos valeurs et traditions. Le problème consiste à séparer le politique du religieux. Il ya eu durant ces élections beaucoup de personnes qui ont voté pour Ennahdha car celui-ci prônait un retour de la religion et des valeurs traditionnelles. Or, cette attitude vise à gagner des voix plus qu’à servir une cause. C’est de la manipulation et de l’opportunisme politique. Il faut aussi prendre en compte, les dernières années de la dictature de Ben ali, qui ont crée un fossé entre les classes sociales et ceci n’est pas étranger au fait que les plus démunis se ruent vers un parti religieux. Il n’est pas nouveau que l’islamisme puise dans la misère sociale.

Ainsi, Ennahdha s’est appliqué à monnayer les voix de ses électeurs, en leur offrant des compensations financières pour le mois de Ramadan et en offrant à ses adhérents le mouton de l’Aïd. Ce genre de pratique n’est pas démocratique. On assiste aujourd’hui à une nouvelle forme de dictature qui profite du contexte économique pour s’accaparer les votes des plus démunis.

Quelle est l'atmosphère aujourd'hui en Tunisie ?

Après la surprise du résultat, la majorité des tunisiens sont pessimistes. Néanmoins, ils ne contestent pas le résultat des urnes et acceptent le jeu de la démocratie.



Plusieurs cas de fraudes et des dépassements ont été signalés et nous attendons la décision de la justice à ce sujet. Ennahdha est accusé de ne pas avoir respecté les règles démocratiques des élections. L’atmosphère est donc pesante. Plusieurs atteintes aux droits individuels par des sympathisants islamistes ont été constatées, notamment dans des universités. On assiste à une radicalisation inquiétante des mœurs alors même que le nouveau gouvernement, dirigé par Ennahdha, n’est pas encore en place.

Les femmes sont les plus touchées par ces représailles, qui remettent en cause leurs libertés et leurs droits. Elles sont très inquiètes pour leur avenir. Ceci étant, on assiste à l’organisation d’une opposition, qui n’est pas négligeable. Ils veulent s’allier et créer un front commun pour contrer le parti islamiste. Ennahdha est la première force politique aujourd’hui, mais nous ne baisserons pas les bras. Il faut rester vigilant.



Comment sont perçus les Français ? Les Américains ? Le Qatar a joué un rôle important également, comment est-il perçu ?

On pense que les français ont été dépassé par les événements, de leurs débuts jusqu’à aujourd’hui. La réaction française s’est longtemps faite attendre, contrairement aux américains. Ces derniers se sont empressés de prendre position et de reléguer la France au rang de spectateur. Cela peut paraitre contradictoire, car la France avait une place privilégiée en Tunisie. Les Etats-Unis ont « marqué le territoire » en organisant toutes sortes de manifestations au niveau politique, culturel et social, prenant ainsi l’ascendant sur la France. Il n’est donc plus choquant d’entendre le leader d’Ennahdha dire qu’il faut se débarrasser de la langue française, lui préférant la langue de Shakespeare.

Le leader islamiste déplore que la société tunisienne soit « devenue franco-arabe, c’est de la pollution linguistique ». Il affiche un islamisme anti-français, un des thèmes de prédilection du Front islamique du salut en Algérie dans les années 90. Les Etats-Unis et le Qatar ont soutenu le parti Ennahdha et l’ont financé. En plaçant des islamistes modérés à la tête du pays, ils espèrent contrer les salafistes.

C’est tout de même ironique que le Qatar se positionne en donneur de leçon, lui qui n’a rien de démocratique. C’est un pays très critiqué en Tunisie. On voit d’un mauvais œil les financements faramineux du Qatar au profit du parti islamiste Ennahdha. La manipulation étrangère est bien réelle. Nous craignons la mise en route vers une dictature islamique.

La Constitution doit être entièrement réécrite, quelles sont vos craintes ? Vos désirs ? Regrettez-vous la révolution ?

Nous ne regrettons pas la révolution même si elle nous échappe aujourd’hui. Le système Ben ali arrivait à sa fin et était au bord de l’implosion. Nous aspirons à un avenir meilleur et surtout à une démocratie réelle. Nous souhaitons faire valoir nos droits et assurer leur pérennité. Or notre plus grande crainte serait de nous retrouver dans une nouvelle dictature.

La constitution doit être réécrite, mais nous insistons pour que le statut de la femme et les droits et libertés individuels de chacun ne soient pas remis en question. Il est impératif pour nous d’avancer et non de faire un bond en arrière.

Nous craignons que le parti Ennahdha s’approprie cette révolution et qu’il modifie la Constitution dans son intérêt. Nous sommes tres méfiants quant aux aspirations profondes de ce parti. Leur double langage est une arme fatale contre la démocratie.

Aujourd’hui nous pensons que derrière cette révolution, se cache tout de même le spectre de l’ingérence étrangère. Dans quel but et dans quel intérêt, l’avenir nous le dira…

Comment voyez-vous votre pays dans 5 ans ? Comment voyez-vous votre avenir et dans quelle Tunisie ?

La majorité des tunisiens sont inquiets et pessimistes. L’avenir est très incertain. Nous avons peur que la parenthèse de la Tunisie de Bourguiba se ferme définitivement. Nous verrons si le peuple a eu tort ou raison de faire confiance à Ennahdha. Les tunisiens se posent beaucoup de questions concernant ce printemps arabe. Les révolutions arabes ont-elles libéré les peuples ou les ont-elles asservi ? Nous craignons aussi que les grands perdants de ces soi-disant « révolutions de printemps » pourraient être ceux qui sont le plus attachés aux valeurs de la liberté d'expression et de pensée et qui étaient aux premiers rangs lors de ces révoltes. L’Occident a voulu soutenir et croire en « ces islamistes modérés », peut-être pousseront-ils l’indécence jusqu’à nous parler de « lapidation modérée ».

Pour aller plus loin, nos deux interlocutrices nous proposent :

- Révélations. Six ans avant la chute de Ben Ali, Washington préparait déjà la carte islamiste pour la Tunisie

- Tunisie : Ennahdha, le double langage ?

- Exclusif : les écrits islamistes de Rached Ghannouchi traduits en français

- Rached Ghannouchi: "Pour quoi je suis islamiste" (1993)

- En Tunisie, des islamistes agitateurs cultuels

- Ci-dessous, des extraits d'un rapport de la cour fédéral canadienne disponible intégralement ici : http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/47161475d.pdf
"Le MTI/Ennahda est un mouvement qui prône l'usage de la violence; il est composé d'une branche armée qui utilise des méthodes terroristes et qui est financée par plusieurs pays et mouvements. Cette branche du mouvement est impliquée dans des assassinats et des attentats à la bombe. Le mouvement, qui est présent dans plus de 70 pays, est aussi impliqué dans le trafic d'armes et dans le financement d'intégristes algériens, dont le Front Islamique du Salut (le « FIS » ). L'objectif ultime du mouvement est l'islamisation de l'État, c'est-à-dire l'instauration d'un État islamique en Tunisie.

Le leader du mouvement, M. Rached Ghannouchi, un terroriste faisant partie intégrante de l'internationale islamiste, est considéré par certaines sources comme étant l'un des maîtres à penser du terrorisme. M. Ghannouchi a fait un appel à la violence contre les États-Unis et a menacé de détruire leurs intérêts dans le monde arabe. En outre, il a demandé la destruction de l'État d'Israël.

Le MTI/Ennahda a commis 12 crimes pouvant être qualifiés de crimes graves de droit commun, à savoir :
i) attentats à la bombe en France en 1986;
ii) attentats à la bombe à Sousse et à Monastir en 1987;
iii) des incendies de voitures en 1987 et 1990;
iv) de l'acide projeté au visage d'individus en 1987;
v) complots en vue d'assassiner des personnalités du gouvernement tunisien en
1990, 1991, et 1992;
vi) complot en vue de déposer par les armes l'ancien président tunisien Habib
Bourguiba en 1987;
vii) agressions physiques dans les lycées et universités, de 1989 à 1991;
viii) l'utilisation de cocktails Molotov en 1987, 1990 et 1991;
ix) incendie criminel de Bab Souika en février 1991;
x) tentative d'incendie d'un édifice universitaire en 1991;
xi) des lettres de menace en 1991 et 1992; et
xii) le trafic d'armes à compter de 1987. "

- Mohamed Zrig : Complice de terroristes et candidat des Frères Musulmans pour représenter le Canada à l’Assemblée constituante tunisienne
Sonia Le Gouriellec, Good Morning Afrika

jeudi 25 novembre 2010

La Corne de l’Afrique : jonction des crises ?

En Afrique les chercheurs ont décrit, dans les années 1990, une transversale nord-est / sud-ouest de conflits (crise des Grands Lacs, Corne de l’Afrique). Aujourd’hui c’est l’arc sahelien s’étendant de la façade Atlantique à la mer Rouge qui fait l’actualité.
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Cet arc serait une extension de l’arc de crises classique que beaucoup ont tenté de définir (ICI). Ce concept n’est pas nouveau puisque dès les années 1970 Zbigniew Brzezinski le définissait comme l’ensemble des “nations that stretch across the southern flank of the Soviet Union from the Indian subcontinent to Turkey, and southward through the Arabian Peninsula to the Horn of Africa.”
Et le “center of gravity of this arc is Iran.” Pour lui on pouvait mobiliser l’« arc de l’islam » pour contenir l’influence soviétique. L’arc de crises au-delà de sa description géographique se définit aujourd’hui comme une vaste zone vulnérable à l’idéologie islamiste et inclut le Sahel. La poussée de l’islam radical et la mise en réseau de mouvements terroristes sont observables depuis quelques années dans ces espaces et devraient durer mais la nouveauté tient à la connexion de ces différents conflits.
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On constate que la Corne de l’Afrique est l’extrémité de ces deux arcs de crises. Les différents conflits de la région tendent à devenir « le théâtre d'une polarisation entre une ligne « pro-occidentale chrétienne laïque » et une ligne « arabo-islamiste » disait il y a quelques années le commissaire au Développement de l'Union européenne, Louis Michel. Pour qui connait un peu la conflictualité dans la région la situation est loin d’être si schématique.
On constate une interconnexion régionale de la violence politique. L'insécurité croissante dans cette zone découle d'un ensemble de facteurs conflictuels : pauvreté, politique ethnique, États faibles ou faillis, régimes forts...

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Depuis juillet 2010 et les deux attentats revendiqués par le groupe islamiste somalien Al Shebab (la jeunesse) qui ont fait 74 morts dans la capitale ougandaise, on constate également l’élargissement du champ d’action des islamistes. Les conflits de la région se nourrissent, s’attisent et se diffusent ainsi par les réseaux transfrontaliers liés aux trafics d’armes, aux incursions extérieures, aux réfugiés et aux diasporas.
Et une Corne déséquilibrée sera sûrement un facteur d’instabilité pour le Moyen-Orient et le Golfe Persique. Alors je conteste (avec un peu de provocation) SD (Pour convaincre) : le cœur des crises n’est pas le Moyen Orient mais la Corne de l’Afrique ! Cette région à l’extrémité de 2 axes de crises la rend plus centrale que périphérique….
Sonia Le Gouriellec, Good Morning Afrika

lundi 25 octobre 2010

Savoir naviguer dans le cyberspace....et sur l'Océan

Ce titre pourrait être l’un des préceptes du pirate contemporain, ici du pirate Somalien. Ces pirates vivent dans un pays en marge du système international mais, paradoxalement, ils sont très bien intégrés à ce système. En effet, les progrès technologiques multiplient les performances de ces agresseurs et facilitent une nouvelle forme de criminalité transnationale.


Pour l’historien Philippe Gosse elle « est un crime de nature vraiment particulière et qui demande à ses adeptes autre chose que de l’audace, de l’astuce ou de l’habileté dans le maniement des armes ». Et force est de constater que la piraterie contemporaine use de tous les moyens modernes mis à sa disposition. Ainsi elle emprunte le véhicule d’internet et les réseaux satellitaires pour communiquer et s’informer de la position des navires ou se procurer argent et équipements.
En l’absence de gouvernement central, de banque ou d’opérateur national de télécommunication, comment s’organise le lien entre les pirates et le reste du monde ?

Le poids et l’influence d’une diaspora mondiale
Selon un récent dicton les Somaliens sont: « une nation d’immigrants qui dépend des autres immigrants ». Les pirates bénéficieraient d’un réseau d’informateurs répartis un peu partout dans le monde et principalement en Amérique du Nord où la diaspora est nombreuse : plus de 200 000 Somaliens vivraient au Canada et entre un et trois millions hors de la Somalie. Elle leur apporterait des fonds, de l’équipement et des informations, en échange d’une part du butin des rançons. Ce système d’aide en réseau n’est pas nouveau les Hawala (Xawaala en Somali) sont des structures de transfert d’argent de la diaspora basée sur la confiance.



L’argent qui circule par ce biais serait estimé à environ 300 millions de dollars US par an. Bien sûr et heureusement il ne sert pas qu’à financer la piraterie. D’autant que si les interventions étrangères dans la lutte contre la piraterie, comme l’opération Atalante, sont mal perçues de la population (elles protégeraient les bateaux accusés de piller les richesses halieutiques de Somalie illégalement) les pirates ne sont pas plus populaires, ils s’opposent à la tradition somalienne et aux croyances religieuses locales.


Des soupçons pèsent aussi sur des transferts d’argent vers des banques de Dubaï ou d’autres pays du Golfe et même vers le sous continent indien. Dès lors la surveillance des transactions financières des « syndicats de piraterie » est une piste à creuser dans la lutte anti-piraterie.

Un gouvernement bienveillant
La Somalie n’a pas de pouvoir central mais les pirates se trouvent au Puntland, la région autonome au centre du pays et quatre réseaux de pirates se partagent les 1300 km de côte Puntlandaise. Dans cette région il existe un gouvernement et l’ancien président le Général Mohamed Muse Hersi, en poste de janvier 2005 à janvier 2009 (en plein essor de la piraterie dans la région…) serait l’un des « parrains » du réseau canadien de soutien des pirates. Le nouveau président vient également de l’étranger. Directeur de Banque, sous le régime de Siad Barre, M. Faroole est revenu d’Australie où il a vécu pendant treize ans. Sa réputation fait l’unanimité contre lui, il aurait acheté son élection et aurait pour principal intérêt de vouloir faire fructifier son capital et enrichir son entourage. De fait le gouvernement Puntlandais est impuissant face aux pirates et aux trafics à la fois par incapacité matérielle, manque de volonté et corruption.

Un secteur des télécommunications en plein essor
Les télécoms sont le seul secteur à s’être considérablement développé pendant la guerre civile des années 1990 et cela malgré l’absence d’Etat (UNPD, 1998). Au départ la croissance des télécom et notamment des téléphones satellitaires facilitait le transfert des rémittences de l’étranger. Le principal maitre d’œuvre de cette expansion : Al Barakat Global Telecomunication, considéré après 2001 comme terroriste par le Département du Trésor américain mais qui offrait un service internet, fax, et téléphone sous contrat de joint-venture à la firme américaine AT&T et British Telecom. On a pu même parler jusqu’en 2001, année de fermeture d’Al Barakat, de « révolution des télécoms » dans un pays pourtant définit comme un « Etat failli » depuis
Et c’est bien par les TIC que la Somalie entre dans le système international (voir cartes). Le nombre de téléphones cellulaires y est plus élevé que chez ses voisins djiboutiens, érythréens et éthiopiens. Les utilisateurs d’internet y sont plus nombreux quand Ethiopie et aussi nombreux qu’à Djibouti (pour 1000 habitants). Le taux de pénétration du téléphone fixe y est le plus élevé des pays côtiers d’Afrique de l’Est (à l’exception de la Tanzanie)… De fait les pirates ne sont pas nouveaux seuls leurs tactiques et leurs équipements le sont.


Jusqu’alors cette piraterie relevait principalement de la criminalité puisque les pirates recherchent essentiellement le profit. Or le rapprochement observé dernièrement avec les islamistes du Sud somalien fait entrer cette criminalité, somme toute classique et ancienne, dans un champ géopolitique très moderne. En effet, les experts des services de renseignement s'intéressent particulièrement à cette évolution, convaincus que l'élargissement du recrutement des pirates à des franges plus politisées, ainsi que l'accroissement de leurs moyens, a pu faire évoluer les motivations. « Actuellement, la DGSE et d'autres services de renseignement pensent que les choses ont changé. Au tout début, les Chebabs ont lutté contre la piraterie. On se rend compte qu'il existe aujourd'hui des clans et des sous-clans qui très vraisemblablement s'entendent avec les pirates. Une partie des rançons serait affectée à ces ententes. On n'a pas encore de preuves, mais si cela était avéré, ce pourrait être très grave... » rapporte Christian Ménard. Finalement pirates et terroristes utilisent tous deux le cyberplanning pour s’organiser, lever des fonds et coordonner des attaques.
La piraterie est bien un des visages de la mondialisation, le cyberspace et l’océan sont deux espaces de navigation maitrisée par les pirates somaliens.

mardi 14 septembre 2010

L'islamisation de l'Afrique nous réserve de mauvaises surprises

Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, dans une interview à Politique Internationale (n°127) : "En 15 ans, malgré les efforts des différents service et malgré la coopération internationale, l'islamisme militant a gagné de nouveaux pays : le Nord du Mali (où se sont installées les katibates sahéliennes d'AQMI qui ont dû fuir Alger sous la pression militaire et policière), le Niger, la Mauritanie, et, depuis peu, le Sénégal. Dans 15 ans, le danger sera peut être descendu encore plus au Sud (...). L'islamisation progressive de l'Afrique Noire nous réserve de mauvaises surprises (...) Dans les pays de la zone sahelo-saharienne, et en général dans les zones de djihad, l'enlèvement de ressortissants français - journalistes, membres d'ONG, expatriés...- est une réalité préoccupante."

lundi 2 août 2010

Quand la « menace fantôme » devient réalité : invention et concrétisation du terrorisme islamiste en Somalie

Stéphane Mantoux (Historicoblog) qui participe régulièrement à l'Alliance Géostratégique nous propose un article particulièrement complet sur l'islamisme en Somalie.


La Somalie, depuis la chute du dictateur Siad Barre en 1991, a souvent fait les gros titres des média internationaux pour leurs thèmes de prédilection : guerre civile, luttes entre clans, crise humanitaire, Etat failli, et maintenant repaire de terroristes islamistes. De fait pourtant, l'islamisme à la sauce Al-Qaïda, n'a commencé à s'implanter durablement qu'en 2006. Cette année-là, l'Union des Tribunaux Islamiques écrase une coalition fantoche de seigneurs de guerre armés par la CIA et étend son contrôle sur le centre et le sud de la Somalie, avant d'être mise à bas en décembre de la même année par une intervention de l'armée éthiopienne, toujours soutenue par les Etats-Unis. Depuis lors, des groupes radicaux comme Al-Shabaab et Hizbul-Islam combattent le gouvernement fédéral de transition somalien dirigé depuis janvier 2009 par Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, l'ancien chef des Tribunaux Islamiques chassés du pouvoir en 2006, et représentant un courant plus « modéré » et surtout plus traditionnel de l'islam somalien. Alors qu'après les attentats du 11 septembre, les affrontements en Somalie relevaient encore des logiques propres à la guerre civile déclenchée en 1991, certains acteurs locaux et régionaux (Ethiopie et seigneurs de guerre en particulier) se sont emparés de la rhétorique terroriste pour obtenir ressources et soutiens variés 1 afin de soutenir leurs propres ambitions