dimanche 25 novembre 2012

Sommet de la francophonie : paroles de "kinois" 1/2

Kumpa Mayasi, analyste et Consultant IE (Intelligence économique) était à Kinshasa (RDC) au moment du sommet de la francophonie, il nous propose ce billet. Une interview d'un habitant avant et après le sommet :



Kinshasa se prépare à recevoir le XIVe sommet de la Francophonie. Des travaux sont visibles dans toutes les grandes artères de la capitale congolaise. Nous voyons aussi des ouvriers embellir les grandes places, beaucoup de « kinois » usent de leur légendaire sens de l’humour au vu de ses travaux en les qualifiant de « maquillages », car pour bon nombre ils ressentent un contraste encore plus saisissant entre leur quotidien dans une « ville-poubelle » et le semblant de propreté constaté. La sécurité aussi a été visiblement renforcée afin d’éviter toute protestation promise par l’opposition congolaise. Dans les discussions des kinois beaucoup de blagues fusent sur la mauvaise pratique et la non-maitrise de la langue française par la population dans les quartiers populaires. Dans les rues assises sur de terrasses et autres bars dont regorge Kinshasa, nous rencontrons aussi des personnes qui ont une approche plus intellectuelle de ce sommet. Nous avons été à la rencontre de deux d’entre eux qui ont bien voulu nous faire part de la substance de leur débat.


José Mikendi, 42 ans, diplômé en gestion-finance, étude supérieure en Europe et a travaillé cinq ans en Afrique de l’Ouest, trois ans en Afrique de l’Est pour une ONG internationale.

Que pensez-vous du sommet de la francophonie qui aura lieu à Kinshasa dans quelques semaines ?
Je ne suis pas favorable à la tenue du sommet de la francophonie au Congo, car je trouve que nous ne sommes pas dignes d’accueillir un tel sommet, car nous ne vivons pas vraiment dans un état de droit, ici point de changement depuis des années. Nos gouvernants certes se frottent les mains et se glorifie du plébiscite accordé par la tenue de ce sommet, mais moi je suis sceptique sur les bénéfices de cette réunion de personnes bien pensantes qui sont totalement absente pour la résolution de nos problèmes quotidiens que sont l’absence de travail, le manque d’électricité, le manque d’eau, l’absence de centre de soins dignes de ce nom et l’insécurité grandissante. Mais au moins grâce à la francophonie nous avons des routes refaites et balayées chaque jour (Rires).
Qu’attendez-vous de la venue de François Hollande ?
Pas grandes choses, car que peut on attendre de la venue d’un chef d’État étranger ? À ce que je sache, il ne gouverne pas le Congo et au vu du silence durant les troubles électoraux de la majorité des chefs d’État présent j’ai peu d’espoir qu’un discours de quelques minutes puisse amener un changement significatif à notre pays. Nous allons sagement écouter monsieur FH, mais sans grands espoirs de changements.


Quel apport de la RDC à ce sommet ?
Déjà notre terre pour accueillir toute ses délégations et notre hospitalité. Mais au-delà je ne sais ce que nous pourrions apporter, car nous sommes un peuple malade et meurtri par des guerres à l’est du pays, un quotidien de plus en plus pénible. Et que peut apporter un État défaillant et déstructuré à ce genre de rencontre si ce n’est des beaux discours donc du vent ?
La francophonie est elle une organisation d'avenir?
Je pense que si cette organisation se mue et se structure en vue d’une dynamique plus économique que linguistique oui elle a de l’avenir, mais maintenant qui va impulser cette évolution ? Je souhaite voir l’OIF innover et être à la base d’un nouveau défi qui animerait les économies qui ont en commun la langue française, cela ressouderait les liens entre pays. Au vu de la mondialisation et de la globalisation de l’économie mondiale, cela nous apporterait une échappatoire face aux « Tout-Puissants anglo-saxons » d’un côté et aux  « Omniprésents Chinois » de l’autre.

Quel est votre point de vue sur la politique française en Afrique et spécialement en RDC
Confus et illisible nous ne savons pas ou nous n’arrivons pas à déchiffrer le rôle de la France ici en Afrique centrale et spécialement chez nous en RDC. Elle semble être absente et pas prête de revenir, peut être que la tenue de la francophonie à Kinshasa va initier quelque chose de nouveau, mais je suis un peu sceptique…deux jours de sommet ne font pas une politique étrangère d’un pays. Je trouve cela triste et décevant qu’une grande nation comme la France soit aussi absente au Congo, à croire que les Français s’intéressent plus à la diffusion de leur langue qu’à la bonne santé de leurs échanges commerciaux. Elle semble être spectateur et tétanisé par je ne sais quoi qui l’empêche d’être pris en exemple et suivi non seulement par les Congolais, mais nombre d’Africains qui se tournent maintenant plus facilement vers le Canada, les USA ou l’Asie. La perte d’influence française est réelle et visible ici au Congo.

APRÈS LE SOMMET :

Comment avez-vous vécu ce sommet de la francophonie?
Un peu agacé par le manque de transport en commun afin de laisser la place à ses diplomates de la « cacophonie » (rires). Mais plus sérieusement, j’ai vu qu’au Congo quand il y a de la bonne volonté nous pouvons organiser non seulement notre environnement, mais aussi notre quotidien. Je suis peut être pessimiste, mais le contraste a été saisissant avant et pendant sommet. 

Que pensez-vous de François Hollande et d’autres dirigeants pendant ce sommet, vos attentes après ce sommet?
Je suis totalement bluffé par FH, il a eu le courage politique de dénoncer le quotidien des Congolais qu’aucun autre chef d’État n’a fait jusqu’à présent. Je suis de ce qui été totalement contre sa participation, mais il a été au-delà de nos espérances, car il a remis à leur place les nombreux fanfarons qui n’ont pas de convictions politiques, mais pillent le pays. Je pense qu’il a bien analysé la situation réelle du pays et nous sommes encouragés. Maintenant, nous savons que le peuple français n’est pas dupe des problèmes dans la région des Grands Lacs, si les puissances occidentales comme la France, le Québec qui ont démontrait leur courage par leur attitude lors du sommet et que les grands pays optaient pour ce genre de ligne politique vis-à-vis de nos gouvernants il y aurait plus d’ordre et de démocratie au Congo.

samedi 24 novembre 2012

Rassemblement de soutien aux otages, vous avez dit soutien ?

« Il fait triste et froid quand on demande aux êtres de vous être un soutien. » de Alexandra David-Néel

Nous vous avons relayé (ICI), la réunion qui se tenait aujourd'hui, sur le parvis de l'Hôtel de ville à Paris, pour soutenir les familles des otages retenus au Mali.


Certes ces manifestations sont rarement joyeuses mais cette fois l'ambiance était encore plus tendue.
D'une part, le soutien (puisque c'était le but) était très faible. Et on ne peut que le regretter à la tristesse des regards du père, de la fille, du fils, de la famille, des amis des otages...
Peu de personnes mobilisées (il est vrai que le message a été peu relayé) donc, des larmes sur quelques joues et une tension palpable.
Les familles se sentent peu soutenues par les autorités alors que la période est critique. Ils ont tout à fait conscience que le vote du Conseil de sécurité de l'ONU dans deux jours pourrait signer l'arrêt de mort de leurs proches (écoutez les familles ICI).
Finalement, peu de citoyens lambda comparé à tous les journalistes venus peut être à la demande de Jean-Louis Normandin, le président d'Otages du Monde, Françoise Laborde, et Hervé Guesquière. Notons le discours de ce dernier, qui a regretté qu'on ne parle des otages qu'une fois par semaine, quand on parlait de lui tous les jours au moment de sa détention. Il a d'ailleurs appelé son patron Remy Pflimlin a remédié à cette situation (à écouter ICI).

Bref, triste, et malheureusement discrète, manifestation d'espoir en ce samedi 24 novembre.

jeudi 22 novembre 2012

Soutien aux familles des otages au Mali

Alors qu'un Français a été enlevé hier au Mali, les familles des autres otages du Sahel s'inquiètent de l'annonce d'une intervention militaire au Nord Mali et des conséquences sur la vie de leurs proches. 



Nous relayons ici le message des familles de Philippe Verdon et Serge Lazarevic :

"pour nous aider, venez nous rejoindre ce samedi 24 novembre à 11 heures sur le parvis de la mairie de Paris. Nous y organisons une manifestation pour marquer  “ un an de captivité” de Philippe et Serge, enlevés par Aqmi le 24 novembre 2011. Plusieurs personnalités y prendront la parole. Si vous pouvez emmener des amis faites le.
Douze mois déjà que nous vivons dans l’angoisse et c’est insupportable.
Nous comptons sur vous."
 
Il y aurait aujourd'hui au moins treize otages -- dix Européens (dont six Français) et au moins trois Algériens -- retenus par des groupes armés au Mali.
 
Sur la photo :  Jean-Pierre Verdon, le père de Philippe Verdon, et Diane Lazarevic, la fille de Serge Lazarevic. Photo AFP/Bertrand Guay
 

mercredi 21 novembre 2012

Conférence : Développement économique de l'Afrique : la solution par les classes moyennes ?


L'IFRI organise le 27 novembre (9h-12h), une conférence sur les classes moyennes en Afrique, sujet d'actualité d'autant que, selon la BAD, un tiers de la population africaine appartiendrait à cette classe moyenne (lire cet article ICI). 



Ci-dessous la présentation de la conférence ainsi que la liste des intervenants. 

"En Afrique, près de 300 millions de personnes sont sorties de la survie et appartiennent maintenant aux "classes moyennes". Elles sont souvent mises en valeur pour montrer le dynamisme économique de l'Afrique, mais que sait-on réellement d'elles ?
La conférence reviendra sur les difficultés de définition des "classes moyennes" puis proposera une analyse critique en se penchant sur leur rapport avec la démocratie, leur esprit d'entreprise et la pérennité de leur développement. Les interventions seront suivies d'un débat avec le public."

Intervenants
Les classes moyennes en Afrique: l’illusion d’une implication politique prodémocratie
Dominique Darbon, professeur de science politique, LAM-IEP de Bordeaux
L’émergence d’un tissu de PME locales, enjeu de la croissance des classes moyennes ?
Jean-Sébastien Bergasse, chargé d'affaires, Proparco
Une culture "de classes moyennes" en Afrique ?
Jean-Christophe Servant
, journaliste, GéoLe Monde diplomatique
Présidence
Hélène Quénot-Suarez, chercheur,
Programme Afrique subsaharienne, Ifri

Les intervenants s'exprimeront en français.
Inscription ICI

Sur les classes moyennes en Afrique, on lira également ce site du photographe Joan Bardeletti : ICI


samedi 17 novembre 2012

Imbroglio juridique en Mauritanie : l’Etat sans tête (MAJ)

Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, a été blessé le 13 octobre, par balle et transféré vers Paris. Sans information supplémentaire sur son état de santé, toutes les rumeurs courent dans le pays. Le Président aurait été touché au bras et/ou à l'abdomen. Sa venue à Paris ne serait pas un signe inquiétant, il devrait juste y obtenir des "soins complémentaires" après avoir été opéré avec "succès" dans son pays. Rapidement, le président assurait que son état de santé était bon et précisait même les circonstances de l’accident : "Je veux les rassurer sur ma santé après cet incident commis par erreur par une unité de l'armée sur une piste non goudronnée dans les environs de la localité de Tweila (40 km de Nouakchott)", d’où il revenait d'une excursion dans le nord du pays. Le véhicule ne se serait pas arrêté à un barrage mobile de l'armée, et la voiture présidentielle, non identifiée, aurait été prise en chasse et mitraillée de 14 balles après n’avoir pas prêté attention aux tirs de sommation (témoignage à lire ICI)




L’hypothèse de l’accident est plausible bien qu’elle fasse débat (ICI et ICI) et puisse paraitre un peu fantaisiste. Ce qui nous intéresse ici est le vide juridique que cet évènement révèle. En effet, le président s’est rapidement exprimé et montré publiquement afin de prouver qu’il n’était pas mort, n’avait pas abdiqué et qu’il n’y avait donc pas de vacance du pouvoir. Le ministre des Affaires étrangères Hamadi Ould Hamadi, est intervenu pour assurer que le président : "exerce la plénitude de ses pouvoirs (…) L'Etat fonctionne, il n'y a aucun problème particulier qui nécessite des dispositions particulières".

Pourtant la rumeur enfle. L’absence du Président commence à être longue et l’opposition n’est plus la seule à gronder. Le Président est-il en état de convalescence ou peut-on poser la question de la vacance formelle du pouvoir ?

Appuyons nous sur la norme fondamentale pour débuter : la Constitution mauritanienne. Celle-ci dispose : 
« Article 40 : En cas de vacance ou d’empêchement déclaré définitif par le Conseil constitutionnel, le Président du Sénat assure l’intérim du Président de la République pour l’expédition des affaires courantes. Le Premier ministre et les membres du Gouvernement, considérés comme démissionnaires, assurent l’expédition des affaires courantes. Le Président intérimaire ne peut mettre fin à leurs fonctions. Il ne peut saisir le peuple par voie de référendum, ni dissoudre l’Assemblée Nationale. L’élection du nouveau Président de la République a lieu, sauf cas de force majeure, constaté par le Conseil constitutionnel, dans les trois (3) mois à partir de la constatation de la vacance ou de l’empêchement définitif. Pendant la période d’intérim, aucune modification constitutionnelle ne peut intervenir ni par voie référendaire, ni par voie parlementaire.
Article 41 : Le Conseil constitutionnel, pour constater la vacance ou l’empêchement définitif, est saisi soit par :• Le Président de la République ; • Le Président de l’Assemblée Nationale ; • Le Premier Ministre. »

Donc la vacance ou l’empêchement définitif sont des faits juridiques même s’ils ne sont pas définis précisément dans le texte suprême. C’est au Conseil constitutionnel de déclarer la vacance (ça n’est pas le cas ici car le Président n’est pas mort) ou l’empêchement définitif (distinct de l’empêchement provisoire qui serait, par exemple, une maladie plus ou moins prolongée mais non handicapante pour l’exercice de la fonction présidentielle). Si le Conseil déclare l’empêchement il permet ainsi au Président du Sénat d’assurer l’intérim.
Or pour cela le Conseil constitutionnel doit être saisi (il ne peut s’autosaisir), ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Cette saisine revient soit au Président (ce qui reviendrait à constater sa démission, ça ne devrait pas être le cas ici), soit au Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir (photo), ou au Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf or ces derniers ne peuvent saisir le Conseil constitutionnel s’ils n’ont pas d’information sur la santé du Président. La charge de la preuve revient donc au gouvernement ou au Président de l’Assemblée nationale. Et ce dernier a « reconnu n’avoir jamais reçu le moindre bulletin de santé du Chef de l’Etat en précisant n’avoir aucune compétence médicale pour se prononcer sur son état uniquement à partir d’une communication téléphonique de 7 mn avec un interlocuteur qu’il dit être lucide mais parlant d’une " voix faible" (ICI). 

Le seul moyen pour les pousser à saisir le Conseil constitutionnel serait que l’état de santé du Président soit déclarée grave et l’empêcherait d’exercer son pouvoir. Sans bulletin de santé publié, ils ne peuvent exercer leur charge constitutionnelle. Il faudrait que le bulletin de santé du Président soit publié (ce que demande l’opposition). Or la publication du bulletin de santé n’est pas une obligation. C’est un vide juridique tant en Mauritanie qu’en France et dans d’autres pays.  De de Gaulle à Sarkozy tous les présidents français  ont  promis de publier leur bulletin de santé mais ces bulletins étaient faux ou omettaient des informations (lire cet article ICI). Et les Présidents comme les autres citoyens ont le droit au secret médical malgré l’exigence de transparence.
Allons plus loin, émettons l’hypothèse que la preuve de la santé vacillante du Président soit établie. Le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale ne peuvent même pas, en droit pur, saisir le Conseil constitutionnel. En effet,  le cercle vicieux se poursuit. L’Assemblée nationale est arrivée au terme de son mandat mais n’a pas été renouvelée donc le Président de l’Assemblée nationale est sans prérogative constitutionnelle. De plus, si le Président du Sénat devait assurer l’intérim, il ne le pourrait pas car il n’a pas été renouvelé selon la règle du renouvellement par tiers tous les deux ans. Pour sa part, le Premier ministre n’a pas de majorité parlementaire sur laquelle s’appuyer à l’Assemblée puisque ses membres n’ont pas été renouvelés à la fin du mandat parlementaire. Last but not least, le Conseil constitutionnel ne pourrait même pas se prononcer car il est incomplet. Trois de ses membres n’ayant pas encore porté serment.
Ce vide juridique laisse le pays en état de paralysie institutionnelle. Nous l’avons vu, la Constitution ne permet pas de trouver une solution à ce blocage. Une situation d’autant plus grave vu le contexte régional actuel et les préparatifs d’une intervention militaire chez le voisin malien. Selon un journal local : «  La Constitution ne prévoyant pas de vacance temporaire du pouvoir, il y a de fortes chances que le Haut Conseil de Sécurité (HCS) renaisse de ses cendres, pour tirer les ficelles jusqu’au retour du président. » 
Pour le moment quelques généraux tiennent le pays. Ce vide est alarmant dans un pays où l’alternance démocratique a toujours posé problème. L’histoire mauritanienne est marquée par plusieurs coups d’Etat militaires (après la chute de Ould Taya). Le Président actuel est d’ailleurs un putschiste (2008) converti à la démocratie bien que son élection ait pu passer pour une mascarade électorale destinée à donner un masque de légitimité au coup d’Etat. Selon ses proches, son retour n’est plus qu’une question de semaines mais les doutes sont désormais permis et tout le monde attend fébrilement la fête nationale de l’indépendance, le 28 novembre, pour voir le Président.

Dernières nouvelles : 

Le président Ould Abdel Aziz de retour en Mauritanie ce 24 novembre 
-  Mauritanie: le président Ould Abdel Aziz reçu par François Hollande à l'Elysée